A la suite de cet article, voici la lettre que j'ai envoyé à un des journalistes de Rue 89!***************************************************** Bonjour Mr Thibaudat, je suis un lecteur assidu de rue 89 et j'ai longuement hésité à vous écrire ces quelques lignes. Je suis auteur de pièce de théâtre et également humoriste depuis maintenant plusieurs années. Je joue actuellement le lundi et mardi au Point Virgule à un horaire peu évident (19h).
Je dois cette programmation à l'équipe du Point qui croit en mon spectacle et à l'engagement qui est le mien. Car il s'agit bien pour moi d'être intelligemment, je l'espère du moins, polémique.
C'est pourquoi j'ai "tiqué" en lisant votre article sur Valérie Lemercier. Je suis comme tout un chacun fan de son style, cependant je doute qu'il soit indispensable d'ironiser sur le talent d'autres humoristes, pour valoriser celui de la dame en question.(Qui n'en n'a plus besoin depuis longtemps!) J'entends ou lis trop souvent que plus rien ne se dit, ou se crée dans l'humour français. Que l'on n'a désormais plus affaire qu'à une caste d'humoristes pleutres à l'humour facile.
C'est heureusement faux, Didier Super, Alexis Macquart, Didier Porte et autres en sont la preuve. Dans des genres différents, Jipey, Alex Lutz, Arnaud Cosson ou Garnier et Sentou, ont su insuffler une énergie et une fraicheur nouvelle dans le paysage du comique hexagonal.
Le problème est qu'aujourd'hui, la multiplication d'émissions Tv d'humour peu coûteuses vu que l'on ne paie plus les artistes; qui doivent déjà s'estimer heureux qu'on leur donne leur chance d'émerger, crée un nivellement des genres et des personnalités, tant il y a uniformisation de la diffusion. (Genre imposé, 3 minutes de sketch pour un maximum d'efficacité, sujet polémique prohibé)
Les plateaux d'humour où les artistes "s'affrontent"; stigmate le plus visible du libéralisme échevelé qui nous dévore, ou ces nombreux festivals du rire qui fleurissent un peu partout en France, sont un autre avatar de la crise (une de plus) que connait ce milieu.
Les billetteries en ligne sont également un fléau pour le spectacle vivant dans les théâtres privés, car par un cassage systématique des prix, le public est désormais face à un buffet pantagruélique de spectacle, où tout se vaut... Où tout se consomme à parts égales: Exemple tout à fait plausible d'une semaine à Paris:
Ce soir j'ai vu une pièce de théâtre en invitation, demain un concert à 3€ (Pas même le prix d'un Kebab!), et après demain un one man show où je paie au chapeau! Une mendicité qui ne dit pas son nom!
Cela, cumulé à un tarif de location des salles de théâtre toujours plus exorbitants! A mon niveau, et le Point Virgule n'est pas le plus cher, je paie 220 euros HT de minimum garanti par représentation (1760€ HT par mois!).Ce sont des tarifs pratiqués pour un lundi et mardi à 19h, plus on s'approche de la fin de la semaine et de la fin de soirée, plus ça augmente. Cela signifie qu'en cas de public insuffisant pour atteindre cette somme, j'en suis de ma poche.
Je n'ai pas de production. Pas de subvention. Je suis intermittent du spectacle, je touche 1200 euros environ par mois, je vis en banlieue, en zone 3 (70€ le pass Navigo)et je paie 700€ de loyer. Je ne parle même pas des autres prélèvements, à ce stade, vous devez déjà avoir une idée de la précarité de ma situation.
Pourtant je joue mon spectacle depuis deux ans sans aucune interruption dans une salle de café théâtre prestigieuse... Ma première pièce se joue depuis un an et demi, les critiques sont élogieuses à mon endroit, et j'écris des chroniques à France Inter... Pourtant tel est mon quotidien.
Et je ne suis pas une exception, des tas d'artistes aux talents démontrés(!), vivotent ainsi dans différentes salles de la capitale. Évidemment, les plus cyniques diront que l'on ne nous a pas forcé à faire ce métier.
C'est vrai...Néanmoins, il me semble primordial de rappeler qu'aujourd'hui,à Paris ou ailleurs, quand le public voit un spectacle. Un directeur de salle est rémunéré. Le régisseur est rémunéré. Le chargé de COM est rémunéré. L'imprimerie qui a produit les quelques flyers du spectacle est rémunéré. Le café ou restaurant qui jouxte ces salles de spectacle est rémunéré. L'artiste qui est l'Axis Mundi de tout ce microcosme ne l'est pas...Ou peu.
Pourtant on persiste, car on espère qu'un jour peut être, ça sera plus facile. On travaille son spectacle de plus bel pour compenser en qualité ce que l'on ne peut mettre en communication! Et là on tombe sur un article de Rue 89 qui nous ravale sans le vouloir, à une masse informe de "wanabees" obstinés et sans talent, histoire de valoriser une comique confirmée depuis plus de 10 ans... Et là on perd (un peu)l'espoir.
D'autant qu'ayant entendu Mme Lemercier sur France Inter, je me demande si ce spectacle qui reprend pour beaucoup des sketches du précédent, aurait bénéficié d'une telle magnanimité si ça avait été le premier spectacle d'une inconnue.
Enfin voilà Mr Thibaudat... Vous êtes un homme de théâtre qui aime cela et ça se sent, et je voulais vous apporter le modeste témoignage d'un artisan qui n'a pas encore assez réussi pour profiter de la magnanimité dont bénéficie certains nobles du spectacle.
Frédérick Sigrist. Comédien, auteur, metteur en scène www.fredericksigrist.com
J'ignore si réactions il y aura, mais ça m'a soulagé! Non mais!
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