J’ai souvenir d’un voisin, à un âge où je vivais encore chez ma mère et où j’étais convaincu que Dorothée était la musicienne auteur/interprète/compositeur française la plus douée de sa génération.
Je disais donc, j’ai souvenir d’un voisin qui vivait dans notre entrée ; nous logions dans un immeuble HLM appelé facétieusement les cormorans, et qui, le voisin pas le HLM, d’après la rumeur claquait supposément tout son fric dans son automobile.
La rumeur a cela de cruelle dans les entrées d’immeuble ou les villages, qu’elle enfle plus rapidement que les pieds d’un géronte en ballade au CORA d’à côté.
En soi, dilapider ses maigres deniers dans l’entretien de son char motorisé n’est pas un mal.
Mais quand on appartient au cercle très fermé des demandeurs d’emploi Rmistes ; ça le devient aux yeux du monde!
En effet la populace bien-pensante bénéficie d’une sorte de compas moral intégré qui lui indique toujours la direction de ce qu’il faut faire ou ne pas faire quand on est en galère.
Un chômeur ça doit porter son malheur en bandoulière, affecter une mine de circonstance mais surtout, quelles que soient ses afflictions, rester pauvre, mais digne !
Comme le dirait Florent Pagny, qui s’apprête à tuer Brel une seconde fois, en reprenant ses chansons : Vous n’aurez pas ma liberté de penser ! C’est beau ça comme épitaphe…
"Il est mort tout seul, comme un con, mais en tout cas, on l’a pas eu sa liberté de penser !"
Toujours est il que le voisin désoeuvré en question était perçu de par chez moi, comme une entité inique indigne de fouler le sol sur lequel on avait bâti cette merveille d’architecture qu’est un immeuble HLM.
Si mes souvenirs sont bons, son joyau à quatre roux était une renault 18 turbo ; on aimait bien mettre turbo sur les portières des voitures à cette époque, (Elles n’allaient pas plus vite soyez en sûr ! D’autant qu’en plus, pour que les badauds puissent lire une pareille hyperbole, fallait rouler au pas !) l’ensemble de son engin marron lendemain jour de fête.
Et force était de constater qu’il l’aimait sa voiture…Il l’aimait peut être comme il aurait voulu être aimé …
Je me souviens que ma mère qui avait joint sa voix au chœur des offusqués, avait déclaré un jour en le regardant du haut de sa fenêtre : « Le jour où il aura plus rien à bouffer, i l pourra toujours bouffer ses sièges ! »
Bouffer ses sièges de voitures ! Voilà qui m’avait bien fait rire, à son débit, j’étais très bon public.
Manger sa voiture, quelle aberration…Et pourtant, ce matin en écoutant les informations matinales, je me suis surpris à penser : pas tant que ça !
Vous avez dû entendre comme moi la multiplication de ces émeutes dîtes de la faim sur la surface du globe !
Grosso modo, et en résumé, nous sommes trop nombreux sur cette planète (6 milliards aujourd’hui et 9 milliards en 2050) et il n’y a désormais plus assez à manger…Ou plutôt si! Il y a suffisamment de nourriture mais elle est mal répartie. La production alimentaire de certains pays ne se suffit actuellement plus à elle-même, d’autant qu’avec la mondialisation et l’homogénéisation de notre consommation culinaire, certaines matières premières tentent à être tout bonnement dilapidées ! Riz, lait, etc.
Et que dire de ces tonnes de céréales, de maïs susceptibles de nourrir en urgence des populations en difficulté, et qui ne servent nonobstant qu’à être raffiné dans le seul objectif de créer du carburant bio capable de faire rouler quoi…Bah oui je vous le donne en mille : nos putains de voitures !
Vous rendez vous compte, l’humanité industrialisé j’entend, est à un tel point angoissé par la pénurie annoncée de pétrole qu’elle préfère donner ses sièges à bouffer au tiers monde plutôt que de repenser à son mode de déplacement.
Hier c’était Boire ou conduire, il faut choisir, demain ce sera Manger ou conduire, il faut choisir !
Au lieu d’envoyer des dons aux ONG, peut être qu’il faut tout simplement se mettre à la marche à pied !